""Je perçois maintenant la réalité et je
sais que j’étais perdu dans le brouillard de l’illusion. Le
temps et l’espace ont complètement disparu. Je sais que je
vis dans le monde subjectif, et que celui-ci appartient au
monde objectif. Si j’avais pu m’accrocher aux suggestions et
aux éclairs que j’ai perçus de temps à autre grâce à mes sens
subtils, que d’heures d’anxiété et de fatigue ne me serais-je
pas épargnées.
Pendant ma jeunesse, j’ai imité la majeure partie de
l’humanité. Je n’ai cru qu’à une seule vie, celle de la
jouissance personnelle dans tous les domaines. Je décidai
donc d’en tirer le meilleur parti. Je fis de l’égoïsme le but
principal de ma vie. Je déchaînai toutes les passions
animales, dissipant ainsi tous les fluides vitaux jusqu’à faire
de mon corps la coquille vide que vous avez d’abord connue.
Permettez-moi de former une image illustrant ma pensée.
Chander Sen resta silencieux un moment. Bientôt
apparut sur un des murs de la pièce une image semblable à
celles déjà décrites. C’était son propre portrait à l’époque où
nous fîmes sa connaissance, l’image d’un vieil homme
trottinant, appuyé sur son bâton. Suivit une autre image à la
ressemblance de l’homme de ce matin.
Chander Sen continua : La première image représente
l’homme qui a dissipé les énergies et les fluides vitaux de
son corps jusqu’à ne laisser subsister que la coquille vide.
L’autre représente celui qui a conservé ses énergies et ses
fluides vitaux à l’intérieur de son corps. Dans mon cas, vous
estimez qu’il y a eu, un rajeunissement complet et presque
instantané, ce qui est vrai. Mais je vois la chose sous un
autre angle. Combien de gens pourraient avoir la même
chance que moi et recevoir l’aide, la sympathie, et
l’assistance ces chères grandes âmes ?
Pour plus de clarté, considérons la durée d’une vie
humaine depuis la naissance jusqu’à la fin que tant de gens
appellent la mort. L’enfant naît. Il n’a pas conscience des
fluides qui apportent la vie et circulent à travers son corps.
Les organes qui engendreront plus tard les fluides vitaux
soumis au contrôle de la volonté ne sont pas encore
développés. À ce stade, si l’enfant est normal, il est superbe
et bouillonnant de vie. Les fluides vitaux se renforcent de
plus en plus jusqu’au stade de développement où l’enfant en
devient conscient et peut les dissiper. Si cette dissipation a
lieu, l’enfant montre des signes de vieillissement. Au bout de
quelques années, le cerveau de l’adulte perd le pouvoir de
coordonner les mouvements, et le corps pareil à celui d’un
vieillard décrépit. Seule subsiste la coquille vide de la
personnalité primitive.
Comparez avec l’homme qui a conservé ses fluides vitaux
en les faisant circuler normalement à travers son corps.
Voyez comme il est fort et vigoureux. Peut-être n’entrevoit-il
pas un idéal plus élevé que celui de naître, vivre un court
espace de temps sur cette terre, et ensuite trépasser. Mais
alors, et pourvu qu’il conserve ses fluides vitaux, sa vie sera
trois ou quatre fois plus longue que celle du dissipateur.
Mais peut-être aussi perçoit-il que le plan de Dieu le destine
à une plus haute mission. Alors dès qu’il aura découvert que
ses fluides vitaux sont un élément nécessaire de son
développement parfait, il les conservera constamment dans
son corps.
Il n’y a pas bien longtemps que nos savants connaissent
le réseau délicat d’artères et de veines composant le système
circulatoire. Il leur reste à démontrer qu’il existe un système
circulatoire infiniment plus délicat et plus subtil apportant
la force vitale à chaque atome du corps. À travers le système
nerveux, la force vitale est dirigée sur un groupe de cellules
cérébrales qui agissent à leur tour comme distributrices et
la renvoient vers tous les atomes du corps pour lesquels elle
a de l’affinité. Cette force vitale se transmet le long des nerfs
et agit comme protectrice des nerfs. Si on la dissipe, les
cellules se stabilisent et ne peuvent plus être remplacées par
les nouvelles cellules de substitution qui se forment
continuellement.
Les jeunes cellules sont refoulées cependant que les
vieilles se décomposent progressivement et meurent.
Au contraire, quand toute la force vitale est conservée,
les cellules se renouvellent aussi facilement à cinq cents ans
qu’à dix. Alors le corps peut se charger de vie au point de
pouvoir insuffler la parole de vie à toutes les formes. On
peut peindre une image, modeler une statue, ou
entreprendre un travail manuel quelconque exprimant un
idéal, puis insuffler à l’objet le souffle de vie et le rendre
vivant. L’objet vous parlera et parlera à tous ceux qui
peuvent voir l’inspiration vitale que vous lui avez insufflée.
Il sera actif parce que le Seigneur Dieu en vous a parlé, et
qu’il est fait selon sa volonté.
Mais ces formes ne prendront pas l’aspect humain, à
moins qu’on ne les élève jusqu’à la vie divine. Si on leur
donne la vie, il faut les soutenir jusqu’au bout et les amener
à la pure vie divine. Alors ce sont des formes parfaites
comme vous-mêmes. Votre responsabilité tombe, et vous
découvrez que ceci constitue le vrai génie.
Je voudrais cependant vous signaler une erreur
fondamentale. Quand une personnalité de génie a commencé
à se développer, elle possède consciemment ou non la faculté
de conserver les courants vitaux à l’état de pureté et de les
faire circuler par leurs chenaux naturels. Son corps et ses
facultés créatrices sont animés en conséquence. L’homme de
génie sait qu’il a pour mission d’exprimer quelque chose qui
dépasse l’ordinaire. Tant qu’il conserve ses forces vitales en
leur laissant la bride sur le cou, il vogue de réussite en
réussite.
Mais s’il laisse des idées de luxure s’insinuer en lui, il
perd rapidement son pouvoir créateur. Sous l’influence des
forces vitales initiales, les cellules constitutives de son corps
ont acquis une texture plus fine que les cellules ordinaires.
À ce moment, l’homme de génie a atteint la renommée.
N’ayant pas développé sa perception plus profonde du
pouvoir de Dieu, il se laisse emporter par l’orgueil de sa
gloire. Il abandonne sa lumière directrice faute d’avoir été
entièrement éclairé. Son besoin d’une excitation plus grande
l’incite à dissiper ses forces vitales, et il perd bientôt tout
pouvoir. En effet, si l’homme a d’abord dominé ses passions
animales au point de conférer à son corps une texture plus
fine, son recul dans la chute est bien plus rapide que s’il
n’avait pas été éveillé du tout.
("...")
Si les hommes pouvaient comprendre que ce fluide
contient une énergie infiniment supérieure à celle du sang
pur, ils le conserveraient au lieu de le dissiper. Mais ils
ferment les yeux à ce fait. Ils continuent à vivre soit dans
l’aveuglement, soit dans l’ignorance, jusqu’au moment où le
Moissonneur arrive. Alors éclatent les lamentations, car le
Moissonneur n’est pas satisfait de la récolte. Vous vénérez la
vieillesse et vous considérez les cheveux blancs comme une
couronne d’honneur, ce dont je ne voudrais pas vous
dissuader. Mais veuillez bien approfondir. Je vous laisse le
soin de décider lequel est plus digne d’honneur : l’homme
aux boucles blanches comme neige qui a provoqué sa propre
décrépitude par ignorance sinon par véritable perversité, ou
celui dont la vitalité s’accuse avec la maturité, qui devient
plus fort et mieux équipé pour faire face au grand âge, et
fait croître en conséquence sa bonté et sa générosité. Je
confesse qu’il faut avoir pitié de l’homme qui arrive à la
mort par ignorance. Mais que dire de celui qui aboutit au
même résultat en connaissant la vérité ?"